Spotlight : « Repousser les limites ! »

En ce 28 Mai journée internationale de l’hygiène menstruelle, Kitambaa célèbre Mme Fatma Samoura, Secrétaire Générale de la FIFA, dans un entretien exclusif sur sa vision du Sport et du développement. 

“Proposez moi quelque chose pour le Soudan du Sud : 1. parce que c’est le pays le plus jeune  du Continent et 2. Ils ont enduré 20 années de guerre civile avant leur libération» voici les 2 raisons principales que Mme Fatoumata Soumara a évoqué lors de notre premier entretien. A la suite de cela, elle  a mobilisé son équipe en charge du développement du football féminin sous le leadership de Mme Sarai Bareman et des experts évoluant dans le monde du développement notamment Kitambaa et M. Cheikh Tidiane Cissé, ancien représentant regional du FNUAP, pour conceptualiser un projet pilote dont l’objectif principal est d’éduquer, d’informer et de mettre à la disposition de l’écosystème régit par la Fédération de Football du Soudan du Sud des solutions idoines à une bonne prise en charge de la gestion de l’hygiène menstruelle. 

1. Pouvez-vous brièvement vous présenter et revenir sur votre parcours professionnel ?

Je suis née et j’ai grandi au Sénégal. À 18 ans, mon baccalauréat en poche, je suis partie en France pour poursuivre mes études universitaires. Je suis retournée au Sénégal en 1986 après l’obtention d’un Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées (DESS) en Commerce International à l’IECS de Strasbourg et une maîtrise en Langues Étrangères Appliquées (anglais/espagnol) pour débuter ma carrière professionnelle à la Senchim, la filiale commerciale des Industries Chimiques du Sénégal (ICS) spécialisée dans la commercialisation de produits phosphatés élaborés. Je suis mariée et mère de trois enfants.

J’ai rejoint la FIFA pour une raison simple, le pouvoir fédérateur unique du football. J’ai pris mes fonctions officielles de secrétaire général en juin 2016. Avant d’assumer ces nouvelles responsabilités à Zürich, j’avais passé 21 ans au sein du Système des Nations Unies que j’ai rejoint à l’âge 33 ans en Mai 1995 au siège du Programme Alimentaire à Rome, Italie.

J’ai eu au cours de ma carrière onusienne à travailler sur des programmes de développement, d’urgence et de redressement en Italie, à Djibouti, au Cameroun, au Tchad, en Guinée, au Niger, à Madagascar et au Nigéria.

Au cours de mes différentes affectations, j’ai eu à voyager dans plus de 70 pays différents pour évaluer les  capacités logistiques des pays afin de répondre à des crises humanitaires réelles ou hypothétiques ou pour fournir des aides d’urgence, de secours et de relèvement ou simplement pour aider les communautés à renforcer leur capacité de résilience face aux catastrophes naturelles ou causées par les hommes.

C’est lors d’une de mes missions au Libéria que j’ai pu mesurer le pouvoir du football et son potentiel unique à restaurer la paix et la cohésion sociale. En effet, pendant la guerre civile des années 90, les seuls moments où les combattants acceptaient de faire momentanément taire les armes c’était lorsqu’il pleuvait ou lorsqu’il avait un match de football. 

Avant de rejoindre mon dernier lieu d’affectation avec les Nations Unies au Nigéria, j’étais basée à Madagascar ou j’ai occupé d’octobre 2010 à janvier 2016, les fonctions de Coordonnatrice résidente du système des Nations Unies et Représentante résidente du PNUD.

La tension politique était très forte pendant toute la durée de ma mission à Madagascar. Pendant près de deux ans j’ai dû me déplacer entre mon domicile et mon bureau sous forte escorte militaire. L’organisation des élections s’est faite dans des conditions politiques, sécuritaires et humanitaires extrêmement difficiles. J’ai quitté La Grande Ile début 2016 après que l’ONU et la communauté internationale aient aidé Madagascar à travers des élections justes, transparentes et démocratiques à revenir à l’ordre constitutionnel.

C’est à quelques jours de mon départ que j’ai été invitée à un dîner auquel prenait part Gianni Infantino, qui était en pleine campagne pour la présidence de la FIFA. Nos échanges au cours de ce dîner étaient cordiaux. Je lui ai écrit pour le féliciter lorsqu’il a été élu président de la FIFA en février 2016. Au mois de mai 2016, il a proposé mon nom au poste de secrétaire général au Conseil de la FIFA qui a endossé sa proposition. J’ai pris mon poste à Zurich en juin 2016.

2. Quel changement/impact pensez-vous avoir accompli au fil de votre carrière, principalement par rapport aux droits des femmes ?

À la FIFA, je me sers de mon rôle de toute première femme – et toute première Africaine – nommée Secrétaire Générale pour faire entendre la voix des femmes et promouvoir leurs droits ainsi que leur niveau de représentation dans le football.

En nommant une femme africaine au poste de Secrétaire Generale de la FIFA, le Président Gianni Infantino, a brisé les préjugés et démontré sa ferme volonté de changer le narratif du sport  le plus populaire au monde mais qui pendant plus d’un siècle était dominé par les hommes et surtout les européens. A la suite de ma nomination,  trois autres femmes ont rejoint le Comité de directeurs de la FIFA: une chargée du Football féminin, une deuxième chargée des Ressources humaines et des services et une dernière chargée de  l’Éducation et des Droits humains, qui est également la secrétaire générale de la Fondation FIFA. Avant 2016, aucune division au sein de l’organisation n’était dirigée par une femme.

La composition du Conseil de la FIFA, a également changé. Désormais  six femmes, représentant chacune des confédérations siègent au Conseil. Trente-neuf membres des différentes commissions de la FIFA sont des femmes, tandis que 16 fédérations du monde entier ont confié le poste de secrétaire générale à une femme. À la FIFA, le pourcentage de femmes parmi les employés s’élève maintenant à 43%, contre 57% pour les hommes. Nous rattrapons notre retard ! Aujourd’hui, les femmes ont bel et bien un rôle à jouer à la FIFA et je suis fière de pouvoir dire qu’elles mènent de nombreuses discussions et sont impliquées dans les décisions clés au plus haut niveau du football mondial.

Sous l’impulsion du Président Infantino une  série de réformes historiques visant à faire progresser le football féminin et les personnes qui évoluent dans ce sport a été lancé. Par exemple, en renforçant la protection des joueuses et des entraîneures et plus précisément en imposant des normes minimales pour les joueuses, notamment en matière de maternité. Elles disposent à présent d’un congé maternité obligatoire minimal de 14 semaines, rémunéré au minimum aux deux tiers du salaire défini contractuellement. Après ce congé, les clubs ont l’obligation de réintégrer les joueuses et de fournir l’accompagnement médical et physique adéquat. Grâce à ces réformes, plus aucune femme ne doit être désavantagée face à la grossesse, ce qui représente pour elles une meilleure sécurité de l’emploi.

3. Comment le sport conduit-il à l’émancipation et à l’autonomisation des jeunes filles et des femmes ?

La société continue à évoluer et la place des femmes évolue avec elle. Le sport, et en particulier le football, fournit aux jeunes filles et aux femmes de formidables opportunités de s’élever et de jouer un rôle plus important dans la société.

Le football offre notamment aux jeunes filles la possibilité de faire de l’exercice, d’apprendre à travailler en équipe et, surtout, d’apprendre à gagner et à perdre et surtout d’élever leur niveau de confiance. Elles peuvent découvrir et développer ces compétences, grâce auxquelles elles seront mieux préparées pour faire face aux défis de la vie.

Début 2022, la FIFA et la CAF ont lancé la Coupe d’Afrique des champions scolaires à Kinshasa, en RD Congo. Le but de la compétition était de réunir des écoliers – filles et garçons – de toute l’Afrique pour leur inculquer des compétences et valeurs de vie via le football et pour leur permettre d’élargir leur horizon culturel.

Un des principaux bénéfices est l’évolution massive du regard des garçons vis-à-vis des filles et de leur implication dans le sport. Les équipes provenaient du Sénégal, d’Éthiopie, du Bénin, de RD Congo, du Maroc et d’Afrique du Sud, et les garçons ont pris conscience que les filles étaient leurs égales et que le rôle des femmes dans la société ne se bornait pas à rester à la maison et à s’occuper de la famille et des tâches ménagères .

Nous préparons actuellement la prochaine édition de la Coupe du Monde Féminine, qui aura lieu en 2023 en Australie et en Nouvelle-Zélande, et la FIFA a pleinement conscience de l’opportunité qui lui est offerte d’inspirer les jeunes filles et les femmes qui regarderont la compétition.

Cette édition marquera le début d’une nouvelle ère pour la Coupe du Monde Féminine puisqu’elle réunira pour la première fois 32 équipes. Cela signifie que davantage de nations et davantage de talents auront une chance d’intégrer le gratin mondial. C’est aussi la première fois que deux confédérations, celles d’Océanie et d’Asie, organiseront conjointement la compétition, et la première fois que nous nous déplacerons dans l’hémisphère sud, dans la région Asie-Pacifique.

Notre ambition pour la Coupe du Monde Féminine est de permettre au football féminin de Repousser les limites – c’est d’ailleurs le slogan officiel de la compétition – et de faire tomber les derniers préjugés afin d’encourager les jeunes filles et les femmes à s’impliquer dans ce sport.

Mon message à toutes les femmes, quel que soit leur âge, est simple : croyez en vous ! Vous avez le pouvoir de réaliser vos rêves et de repousser les limites de vos existences . Les femmes sont la base de la société. Elles sont déterminées et créatives. Désormais, leurs objectifs, leurs espoirs et leurs rêves  doivent être de jouer chacune leur  rôle dans l’établissement d’une société plus égalitaire  et plus juste pour tout le monde. Brisez les préjugés – Osez rêver – Osez réaliser ces rêves – Osez repousser vos limites, tels sont mes messages à l’endroit des femmes et des filles qui se passionnent pour le football. 

3. Pourquoi la FIFA s’intéresse-t-elle à la Santé et à l’hygiène menstruelle ? Cet intérêt explique-t-il la mise en place d’un programme relatif sur la GHM ? et pourquoi votre choix s’est porté sur le Soudan du Sud ?

La santé et l’hygiène menstruelle sont des sujets qui concernent les  jeunes filles et les femmes du monde entier. Les disparités en matière de connaissances et d’accès à la santé et à l’hygiène sont un frein au développement personnel et à l’épanouissement des jeunes filles et des femmes. Ce manque de connaissances est aussi un frein à leur  accès à l’école, au sport et à toute autre activité extrascolaire. La Fédération Sud-Soudanaise de Football souhaite proactivement se servir du football pour relever ce défi et nous avons donc décidé de la soutenir dans le cadre d’un projet pilote visant à sensibiliser et renforcer les connaissances en matière de santé reproductive, ainsi qu’à fournir des serviettes hygiéniques aux jeunes filles qui pratiquent le football au Soudan du Sud. Le but est qu’elles puissent en comprendre les effets sur leur vie quotidienne en constatant les bienfaits par elles-mêmes.

4. Dans quelle mesure les interventions de ce programme peuvent-elles contribuer à la mise en place de politiques publiques, de normes et de pratiques pour un changement d’attitude et de perception sur la santé et l’hygiène menstruelle ?

S’appuyer sur le football pour sensibiliser et renforcer les connaissances sur ce sujet peut inciter les autorités publiques à participer au dialogue et à mieux comprendre la nécessité d’élaborer des politiques adéquates en la matière. En bâtissant un projet qui permet aux jeunes filles et aux femmes d’aller à l’école et de pratiquer le football ou un autre sport sans interruption ni gêne, puis en mettant en place une stratégie de communication claire qui tienne compte des normes culturelles et des défis locaux, nous pouvons sans aucun doute aider à initier le dialogue au sein des communautés. Avec une approche adéquate en termes de sensibilisation, de fil narratif et de partage d’expériences, il est possible d’avoir une influence sur la manière dont les communautés perçoivent le sujet et dont les acteurs publics agissent et intègrent  dans leur programme d’éducation et de santé, un sujet considéré tabou dans la plupart des sociétés en Afrique mais aussi ailleurs. 

5. En quoi le sport permet d’œuvrer en faveur de l’égalité des sexes (ODD 5) ?

La bonne gestion de l’hygiène menstruelle peut largement contribuer à améliorer la qualité de vie des jeunes filles et des femmes du monde entier. Comprendre le sujet et avoir conscience des moyens ainsi que des produits nécessaires pour une bonne hygiène permet aux jeunes filles et aux femmes de participer, d’être présentes, d’avoir accès sans discontinuité et de pouvoir peser sur ce qu’elles font au sein de leur communauté, au travail, dans le sport. 

Elles peuvent ainsi mieux faire entendre leur voix et améliorer leur visibilité au travail, à la maison ou sur un terrain de football. 

Avoir un accès régulier à la pratique sportive et à des programmes y afférents peut participer à la réalisation de plusieurs ODD, notamment l’éducation de qualité, la bonne santé et le bien-être, la réduction des inégalités et l’égalité entre les sexes.

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